La parole à un doyen des artistes: Baay Mballo Kébé
« Vivre pour peindre non peindre pour vivre, l’artiste doit être libre de sa création », telle est la philosophie de Baay Mballo Kébé. En plus de la finesse de ses pensées, il a choisi de vivre dans l'ombre, en paix, loin des regards malgré 67 ans d'expérience en arts plastiques, malgré tant de diplômes, distinctions, médailles. Un tel choix est assez intrigant et convaincant pour aller à la découverte de cet artiste qui se démarque totalement des autres.
Né en 1941, Papa Mballo Kébé dit Baye Mballo Kébé est un artiste plasticien, photographe scientifique, conservateur de musée, formateur en teinture batik et sérigraphe. Il est diplômé de l'Ecole du Louvre – Paris, du Centre Vevey en Suisse et de l'Institut de Paléontologie Humaine de Paris. Baay Mbaloo est un expert-consultant en Art, il est médaillé d'Or Paris Critique. Chevalier des Arts et de la Culture en France. Grand Prix Humanitaire de France. Chevalier dans l'Ordre des Arts et des Lettres du Sénégal. Grand Prix Pape Ibra Tall pour les Rencontres sur le Fleuve Sénégal. Baay Mballo fait partie des doyens des artistes et ses œuvres figurent dans de grandes collections internationales.
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T1: Ami d'enfance/T2: Talibé |
Il a pris gout aux arts plastiques dès le bas âge. En 1953, alors qu'il était à l'école primaire, il gagne le Premier Prix de dessin de l'AOF (Afrique Occidentale Française). De là, il épouse les traits de l'académisme rigoureux à la section Arts Plastiques dirigée par Iba Ndiaye à l'école des Arts du Sénégal où il sort major de sa promotion en 1968. Après, il a parcouru pas mal d’autres pays pour affiner son art. Baay Mballo est un portraitiste hors pair. A travers ses tableaux, il met en avant plusieurs thèmes : la femme, l'enfance, la musique, les figures historiques, toute chose qu'il partage avec une rare finesse.
Quels sont les moments qui ont marqué
votre carrière artistique ?
Mon exposition à Deauville m’a marqué. Suite à
la proposition d’une galeriste alors que je poursuivais mes études à Louvre à
l’époque, je peignais et dessinais. L’exposition a connu un grand succès.
C’est d’ailleurs l’une de mes premières expositions en tant que peintre. Les
précédentes étaient des expositions timides. À partir de ce moment, j’ai
commencé à fréquenter de grands artistes en Europe et les amateurs d’art. Mais
à Dakar, quand j’étais à l’Ecole des Arts, je peignais et je vendais mes œuvres
à côté de la BIAO devenue CBAO. C’était plus pour nous dépanner financièrement.
On nous interdisait même de signer nos œuvres. C’est pourquoi j’avais un nom
d’emprunt. À cette époque, la peinture n’était pas bien vue au Sénégal. C’est
après la création de l’Ecole des Beaux-arts par Senghor que les gens ont
commencé à s’intéresser davantage à la peinture, aux arts plastiques.
Quel regard portez-vous sur les nouvelles
tendances artistiques ?
Pour commencer, les premiers artistes (les anciens),
étaient des gens engagés, et s’adonnaient à l’art par amour. Or, actuellement,
des gens sont entrés dans les arts comme des cireurs de chaussures dans la rue.
Vous savez, je travaillais chez Bata, c’est là-bas que j’ai appris l’étalage,
la décoration et la sérigraphie. On cirait les chaussures pour entretenir le
cuir. Alors que les cireurs de la rue cirent les chaussures pour les faire
briller tout simplement. Ainsi, beaucoup d’artistes, actuellement, sont entrés
dans l’Art pour gagner de l’argent, c’est différent de ceux qui y sont entrés
par engagement. Eux, ils ont quelque chose à dire. Beaucoup plus que des
artistes actuellement. C’est dommage. Nombre de jeunes artistes doivent se
rapprocher des vieux que nous sommes pour apprendre. De plus, il y a cette
domination de l’art abstrait. C’est vrai. L’art africain est un peu abstrait.
Mais pas entièrement. Il y a un élément aussi qui a beaucoup déformé les arts
au Sénégal : ce sont les Européens. En venant au Sénégal, ils achètent des
tâches de couleur etc., des choses que n’importe qui arrive à faire. Ils achètent
une fois ou deux fois chez un jeune et instinctivement ce dernier se déclare
artiste pleinement et ne s’intéresse plus à la formation, à la recherche.
Parfois même leurs créations partent de l’étranger. Ce n’est pas de l’art.
L’artiste est comme un écrivain. Il a quelque chose à dire, à raconter à partir
de ses toiles… Ce qui n’est pas le cas de beaucoup d’artistes.
Que souhaiteriez-vous que l’Etat ou les
promoteurs culturels réalisent dans le secteur des arts ?
C’est difficile d’en parler car moi je n’ai jamais
dépendu de personne. J’ai vécu en Europe et les artistes, là-bas, ne
dépendaient pas de l’Etat. Quand je suis rentré au Sénégal et qu’on m’a fait
savoir qu’il nous fallait un registre de commerce. J’ai crié : imposer une
telle chose, c’est limiter l’action de l’artiste en quelque sorte. Si c’est le
client qui décide de ce que l’artiste doit faire, cela ne va plus… Toutefois,
il est nécessaire quand même que l’Etat fasse quelque chose. C’est très
simple.
Comme le faisait Senghor etc., Dès qu’il y a des
papiers administratifs, les artistes deviennent comme des ouvriers. Je
comprends maintenant l’idée du registre de commerce vu que la majorité des
artistes sont là pour gagner leur vie. Tous les artistes avec qui j’ai vécu,
jusqu’à Picasso, ils étaient au départ fauchés et brusquement quand le coup est
arrivé, ils ont commencé à vivre. Mais, moi je ne me vois pas dedans.
Quelles appréciations faites-vous de la Biennale 2024 ?
Il m’est très difficile de parler de la Biennale car je ne l’ai jamais suivie. Personnellement, même quand il y a des vernissages, je m’y rends à la fin pour voir ce qui se passe. La Biennale pour moi a changé de visage parce qu’au départ, c’était une Biennale africaine. Et d’un coup, c’est devenu international. Cela aurait pu l’être comme le Salon de Paris à condition que chacun ait des stands. Il y a les stands sénégalaise, japonaise, français, etc., chacun amène son travail sans pour autant calquer les autres. Contrairement, des personnes qui ont la main sur les choses, qui vivent ici et veulent imposer l’art sous le prisme du regard européen. De ce fait, certains artistes ne sont plus libres de leurs créations. Ils créent par rapport à la clientèle car ils pensent clientèle au lieu de penser public. Moi, je peins pour le public. C’est à lui de juger et d’en faire ce qu’il veut. Je peins sans contrainte. Le public prend ou pas. Je reste fidèle à mon art. Mais, maintenant on peint des tableaux en fonction des préférences et des suggestions de l’acheteur. La Biennale est une forme de défiguration de notre création même. Il est clair aussi qu’on a beaucoup d’affairistes dans le secteur des arts. J’espérais que cela va changer. J’ai vu le logo qu’on a un peu changé et cela ne piffe pas du tout. C’est trop neutre. Trop fade. Cela aurait pu avoir un peu plus de gaieté, de vie et de mouvement. Il faut bien qu’on essaie de se libérer. Qu’on libère au moins les plasticiens pour qu’ils puissent s’exprimer au lieu de les guider. Ces histoires d’installation, c’est agréable mais je ne vois pas l’utilité parce que beaucoup d’installations sont éphémères, cela n’apporte pas grand-chose à la population.
Dans un tel cas de figure, peut-on en
déduire que la Biennale a perdu sa vocation première ?
Le système de sélection entrave la liberté de beaucoup
d’artistes. Et le système n’arrange que les petits Richards. Cela devient de
l’art bourgeois. Or l’art doit aller vers la population, vers le peuple. Un
artiste n’est pas quelqu’un qui s’enferme dans les buildings. Il doit être
libre, s’ouvrir aux autres. Il y a de jeunes créateurs, en gestation qui sont
beaucoup plus valables que certains grands artistes mais qui ne peuvent pas
s’exprimer du tout parce qu’ils ne savent pas comment déposer leurs œuvres pour
se faire sélectionner. Ils ont peur du système. Et telle n’est pas la vocation
première de la Biennale. L’artiste sénégalais a beaucoup de choses à dire à son
peuple. Qu’il s’exprime pour son peuple non pour l’étranger. Malheureusement,
quand on s’exprime pour son peuple, on n’arrive pas à vendre. Il faut percevoir
et senti la valeur de la création artistique.
Quels sont les défis qui s’imposent dans
le milieu
artistique ?
Les défis sont nombreux. En matière de communication,
l’acte d’un artiste a une grande importance. Il faut booster la civilisation à
travers l’art. L’art est le début et la fin de la civilisation. Le défi de
l’artiste est surtout de pouvoir travailler pour son peuple, d’exporter aussi
ce que son peuple représente. Par exemple, si on doit voyager avec le président
à l’étranger pour montrer ce que nous faisons, on doit peindre, montrer quelque
chose qu’on ne retrouve pas là-bas, en Europe. De nos jours, si on compare le
peintre européen à celui sénégalais par rapport aux créations. Il n’y a pas une
grande différence. On se demande lequel nous vient d’Europe. Il faut que les
artistes aient le courage d’imposer qui nous sommes sur les tableaux. C’est un
défi.
Quel conseil donnez-vous aux jeunes qui entrent dans l’Art pour se faire de l’argent ?
Il est difficile de conseiller quelqu’un qui cherche à
vivre. Ce que je leur conseille, c’est de bien travailler et d’apprendre
l’histoire de l’art. Tant que l’art nous est imposé, nous n’irons jamais
loin. C’est comme le système des civilisations. On nous a imposé tant de
choses. Regardez le portable et le net. Je leur conseille aussi d’être
généreux. La générosité, c’est de l’art. Dans la vie, il y a la connaissance
technique et la chance de vendre. On peut avoir la chance de vendre sans avoir
la connaissance technique et vice versa. Il faut qu’ils comprennent cela. Ceux
qui vendent ne sont pas forcément de bons peintre ou artistes. De plus, une
œuvre d’art n’est jamais finie. Il faut qu’ils fassent preuve de
patience.
D’où est venu le Xatim’ART ?
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Un portrait de Senghor avec ses textes: c'est le Xaatim'ART |
Le Xatim’ART est une technique. Xatim veut dire écrire en arabe. J’ai eu une soif de communiquer avec les autres parce que ma peinture, je la sentais vide en quelque sorte. De plus, j’ai beaucoup lu Senghor, après un certain temps je me disais que les gens lisent Senghor sans comprendre. Il faut les pousser à mieux comprendre les écrits de Senghor. J’ai créé des œuvres avec les textes de Senghor. Au départ, les premières personnes qui ont regardé ont cru que c’était des gribouillis, mais quand ils se sont mis à lire, ils ont découvert des choses. Le Xatim, comme le cinéma, les images bougent, les gens comprennent facilement. Une œuvre d’art est là, jolie avec ses formes etc., mais cela peut aller au-delà de cela. C’est ce qui a amené les écritures sur les tableaux. Cette technique demande beaucoup de patience.
Zahraty
Fatou Ndiaye
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